Picasso a entretenu une relation artistique passionnelle avec l’Afrique. Cette exposition au musée Branly (Paris) en explore les pistes. Au delà de la beauté, dans la magie et dans le sens.
L’émerveillement d’une découverte. La certitude qu’entre les continents et les cultures, rien n’est jamais cloisonné. Ce que Picasso ressent cette journée d’août 1906 chez son ami, André Derain ? Devant ce masque fang, à une époque où l’on rit de l’ « art nègre », où l’on exhibe l’Africain comme un animal dans un zoo ?
L’émerveillement. Quelques semaines plus tôt, au musée du Trocadéro, il l’avait déjà senti. « … A examiner ces masques, tous ces objets que des hommes avaient exécutés dans un dessein sacré, magique, pour qu’ils servent d’intermédiaire entre eux et les forces inconnues, hostiles (…) J’ai alors compris que c’était le sens même de la peinture. » Il le dit lui même, comme un chemin qu’il découvre, qui lui ouvre un autre monde. Dans la « Tête d’obsidienne », André Malraux le rapporte encore. L’un de ses tableaux majeurs « les demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là… »
Avant lui, Paul Gauguin avait déjà suivi cette piste première,en Polynésie, au contact des bas-reliefs égyptiens et des peintures orientales. Loin des conventions en vigueur, du naturalisme qui cimente l’art de l’époque, la possibilité de jeter une passerelle. Lassitude du style artistique, comme de la société coloniale, qui dénie aux cultures non-occidentales toute capacité de beauté. L’exposition du Trocadéro était à cette image : « c’était dégoûtant, dira Picasso. Le marché aux puces, l’odeur (…). » Et bien, c’est l’absolu contraire qu’il éprouve. De ces masques africains, il n’entend pas faire du « joli », mais exprimer la magie, le sacré. « C’était pour m’opposer à ce qu’on appelait « beauté » dans les musées ». Cette peinture sera spirituelle ou ne sera pas.
Grâce aux nombreux prêts du musée Picasso, cette exposition du quai Branly explore dans la forme et dans le fond, cet attachement de l’artiste avec l’art « primitif ». Trois cents œuvres, dont 107 de Picasso éclairent le cheminement. A commencer par ce masque Fang qui a changé les codes de la création. L’art africain a cette puissance expressive qui permet à des artistes comme Gauguin, Derain, Matisse… de transgresser les lois et d’aller au sens, à la magie, aux envers de l’image.
Toute sa vie, Picasso restera dans cet émerveillement. A ceux qui parlent de « pillage culturel », comme lors d’une rétrospective à Johannesburg en 2011, on pourrait répondre que le plagiat n’existe guère en amour. Une passion fondatrice, qui conserve sa vigueur au fil des années. Comme le disait Marylin Martin, directrice des collections au musée Iko du Cap, « Picasso a servi de pont entre les continents » et « ses efforts ont certainement aidé à démolir le concept de supériorité des Européens ».
Clémy